LETTRE D’INTENTION 2022

Par Anne Canoville et Raphaël Colson

La science-fiction, imaginaire provocateur, radical, transgressif et subversif !

“No future !” : en voilà, un slogan qui semble bien peu compatible avec un festival de science-fiction tourné, par définition, vers l’avenir…

Et pourtant ! Il est bon de rappeler que cette formule emblématique du mouvement punk évoque aussi un esprit de contestation, un mauvais esprit, qui ne saurait se contenter de la réalité telle qu’elle nous est donnée, voire imposée.

Quant à ses accents nihilistes, ne disent-ils pas avant toute chose l’espoir déçu dans le fait qu’un autre monde serait possible, et le refus catégorique de se résigner à un futur tracé par des puissances sur lesquelles nous n’avons aucune prise, ni collectivement ni individuellement ?

Que la science-fiction soit un imaginaire transgressif, aux potentialités subversives certaines, tient de l’évidence. Son principe même, qui consiste à imaginer les possibles sociétés à venir, qu’elles soient utopiques ou dystopiques, et le positionnement qu’implique leur mise en scène, tend à nous exposer une réalité alternative dont les normes peuvent se révéler violemment transgressives aux yeux des lecteurs et lectrices, spectatrices et spectateurs.

L’impact provocateur de cette mise en scène repose notamment sur l’importance accordée à la « veille » prospective, telle que l’entendait le romancier John Brunner : s’informer de l’ensemble des données socio-politiques du temps présent est indispensable pour appréhender au plus juste les évolutions qui façonnent nos sociétés, et proposer une « vision » prospective pertinente du futur.

De fait, la science-fiction n’est point un imaginaire neutre, mais un terrain de confrontation idéologique, tout particulièrement entre technophiles et technocritiques – l’affrontement autour de la question du progrès (de ses bienfaits comme de ses méfaits) alimente l’histoire du genre depuis ses origines.

La science-fiction se nourrit par conséquent d’une mise en perspective ambivalente, où cohabitent manichéisme et complexité, conformisme et radicalité.

La provocation se révèle aussi par le biais des interactions permanentes avec le contexte socio-culturel, car la science-fiction fonctionne comme tout autre imaginaire : elle s’imprègne des normes et des représentations qui façonnent le temps présent.

Le genre se prête ainsi à l’intégration d’une contre-culture s’exprimant en réaction à un imaginaire de consommation qui, par la voix de l’industrie culturelle de masse, se charge d’absorber la critique pour mieux la désamorcer.

La contre-culture science-fictive puise en particulier son inspiration dans la radicalité du militantisme socio-culturel, de la musique punk rock et de la fiction transgressive et/ou subversive : en témoigne l’épopée de la revue Métal Hurlant, les chansons des Misfits, où la figure du guerrier affublé d’une iroquoise, que l’on retrouve tout autant dans le cyberpunk que dans le post-apo.

Il va sans dire que la science-fiction occidentale cultive l’art de la provocation depuis les révolutions culturelles engagées à partir des Sixties.

La science-fiction japonaise, et aujourd’hui coréenne, quant à elle, se distingue en matière de radicalité transgressive et d’imagerie trash.

Avec l’essor des sensibilités féministes, queer ou encore décoloniales et afro-futuristes, au sein du genre, nous voyons aussi nos imaginaires enrichis de perspectives et de voix plurielles, qui remettent en question l’hégémonie des discours dominants et normalisateurs.

Aujourd’hui, alors que l’idéologie néo-libérale, viscéralement autoritariste et impérialiste, infuse notre société, quel espace est encore permis pour la discussion, la confrontation des idées ?

La radicalité, la provocation, ne sont-elles tolérées qu’à la condition de rester marginales, réfugiées dans les niches les plus contestataires du fandom, ou de se rendre solubles et digestes pour un divertissement aseptisé ?

Le contexte actuel se révélant toujours plus anxiogène, le rapport de force toujours plus écrasant, il nous paraît essentiel de débattre de la question et de s’interroger sur le sens que l’on attribue présentement aux notions de provocation et de radicalité.

Ces notions sont-elles galvaudées au point d’être devenues inoffensives, ou au contraire, bénéficient-elles d’un nouveau souffle contestataire ?

LES TABLES RONDES DE CETTE thématique :

Logo AOA Prod

Association AOA Prod

25 avenue des frères Lumière
69008 Lyon

ABONNEMENT NEWSLETTER