LETTRE D’INTENTION 2024
Par Anne Canoville et Raphaël Colson
Du Pain et des Jeux
Le Rollerball. Le Motorball de Gunnm. Le Dôme du Tonnerre de Mad Max. Ces exemples sont emblématiques de l’évocation du sport dans la science-fiction, qui puise immanquablement son inspiration dans une imagerie stéréotypée des jeux du cirque antique, où s’entremêlent de prime abord brutalité létale et divertissement.
Ces compétitions futuristes se caractérisent ainsi par leur violence plus ou moins encadrée, mais aussi comme une machinerie destinée à divertir les masses au profit du contrôle élitaire. Plus frappantes encore sont les fictions explorant le champ de la compétition la plus épurée, celle des jeux de la mort. Ici, le joueur n’est plus un combattant professionnel, mais un·e simple civil·e, un·e anonyme parmi tant d’autres, représentant·e ces classes populaires destinées à s’étriper pour satisfaire le plaisir d’une élite ou l’idéologie d’une société dystopique.
Ces deux cas de figure illustrent la façon dont la science-fiction s’est appropriée une expression intimement associée aux jeux du cirque : panem et circenses. Du pain et des jeux. La formule latine renvoie à l’achat, par les empereurs romains, d’une paix sociale à peu de frais. Aujourd’hui, synonyme d’aliénation des masses et de dépolitisation, elle énonce qu’il suffirait de remplir l’estomac du peuple et de flatter ses plus bas instincts par des spectacles sanglants pour le détourner des questions d’intérêt public. C’est bien de cette image de la servitude volontaire que se nourrit la science-fiction.
Sous notre ère marquée par la domination du capitalisme néo-libéral, l’expression panem et circenses conserve plus que jamais sa pertinence : il n’est même plus besoin d’aller chercher dans la fiction, tant notre réalité regorge d’exemples de divertissements d’apparence abrutissante, mais derrière lesquels se dissimule une idéologie. N’oublions pas que le principe d’interaction sociale dans le paradigme néo-libéral se résume à une permanente compétition du tous contre tous : il faut être un winner, un·e battant·e, pour triompher dans une arène où les performances de chacun·e sont scrutées, optimisées, mises en concurrence.
N’est-ce pas de cette réalité que nous parle la science-fiction depuis le début des années 2000, tout particulièrement par le prisme des jeux de la mort, reflétant l’inexorable progression d’une violence sociale engendrée et cultivée par le management inhumain du capitalisme ?
L’imaginaire de la science-fiction exprime ainsi son fort scepticisme vis-à-vis des vertus censément pacificatrices de la compétition sportive : et s’il s’intéresse finalement peu au sport en tant que tel, il demeure un observatoire imprenable de la façon dont des pratiques et des valeurs populaires se voient confisquées par en haut, et dévoyées par leur exploitation commerciale.
Il serait difficile de lui donner tort en cette année 2024, où la perspective des Jeux Olympiques de Paris donne, au moment de fête populaire et de communion collective promis, des allures de mirage. Derrière la vitrine nationale et la préparation du show, aubaines pour l’industrie du divertissement, les grands groupes et les sponsors, se joue une réalité à l’apparence autrement plus dystopique, faite d’expulsions et de destruction de communs, d’emplois dissimulés, de lois et décrets liberticides renforçant les technologies de surveillance et de contrôle… Un dispositif d’une grande violence pour les populations et les territoires concerné·e·s, dont journalistes et chercheur·ses ne peuvent encore mesurer l’ampleur des conséquences écologiques, sociales ou politiques une fois la grande célébration terminée.
C’est néanmoins une atmosphère chaleureuse, ludique et festive que nous vous proposerons pour la 12e édition des Intergalactiques, au fil de laquelle cette vaste thématique sera abordée sous forme de tables rondes, projections, ateliers, jeux de rôle, lectures, animations jeune public… en compagnie de passionnant·e·s invité·e·s.